Togo : revoir la stratégie de la production cotonnière

Une campagne décevante pour la saison cotonnière au Togo, en raison de la sécheresse du début de la saison 2020-2021. Les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous chez les producteurs dont certains évoquent aussi la non-maitrise des techniques de production. Les acteurs sont dans leur majorité très amers, parce qu’ils sont perdants à l’arrivée. Ils ne peuvent pas rembourser les montants d’argent devant compenser les intrants à eux fournis par la Nouvelle société cotonnière du Togo (NSCT), et ne s’attendent pas non plus à leurs propres bénéfices. La NSCT, principal partenaire commercial de la Plateforme industrielle d’Adétikopé (PIA) n’est certainement pas dans la position idéale, au regard de la fin de parcours des cotonculteurs.

Janvier 14, 2022 - 13:07
Janvier 14, 2022 - 13:21
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Togo : revoir la stratégie de la production cotonnière
Une campagne cotonnière décevante

Les acteurs de la filière coton se rendent compte que le secteur connaît une baisse cette saison, réalisant probablement moins de soixante (60) mille tonnes, alors que la Fédération nationale des groupements de producteurs de coton (FNGPC) ambitionnait d’atteindre au moins cent trente-cinq (135) 000 tonnes. Ce qui aurait permis à l’institution d’oublier la décrue de 43% des productions de la saison 2019-2020. Le groupe singapourien "Olam international" (actionnaire majoritaire de la Nouvelle société cotonnière du Togo (NSCT) s’était engagé à améliorer le rendement de la saison, 2020-2021, avec la promesse de nouveaux prix d’achat garantis. Mais l’objectif n’a pu être atteint.

 

De faibles rendements

 

Plus d’un producteur est surpris par les récoltes de cette saison 2020-2021, même si des volumes de récolte sont annoncés "acceptables" dans quelques localités. Amana Kokou, président des producteurs de coton à Tchamba (région centrale) rêvait d’une année record en rendement, mais la nature en a décidé autrement. « Nous nous sommes bien investis cette année avec les intrants obtenus. Mais la fin n’a pas profité aux producteurs », se plaint-il avant d’ajouter : « je ne peux pas me satisfaire de produire 700 à 800 kg de coton graine à l’hectare ; je devrais avoir 1,200 tonne/ha, ce qui veut dire que j’ai régressé  ».

 

Un autre producteur aurait vécu la catastrophe. Selon le président des producteurs de coton de Tchamba, « le producteur en question a eu seulement près de 05 tonnes seulement de coton sur la surface de 15 hectares qu’il a exploités ». L’intéressé qu’il s’abstient de nommer « pleure en ce moment sa contreperformance due aux sévères épisodes de la sécheresse », raconte Amana Kokou très déçu pour son collègue.  

 

Dans la préfecture de Tchaoudjo, chef-lieu de la région réputée en production cotonnière, la récolte est relativement bonne (environ 25 000 tonnes), selon Awassim Amanga président de la fédération des producteurs de coton de Tchaoudjo qui se félicite du fait que « les intrants fournis par la NSCT ont été utiles et efficaces, même si les caprices de la pluie ne nous ont pas facilité la tâche, et ont faussé les itinéraires culturales. Sinon nous aurions pu récolter plus que ce que nous avons aujourd’hui ». Le responsable de la fédération des producteurs de Tchaoudjo fait savoir également que « de nombreux producteurs ont quitté la fédération pour d’autres activités culturales, ce qui a aussi occasionné la baisse de la production ».

 

Ailleurs, dans la région des Savanes où de fortes chaleurs - dues à l’absence de pluies - ont aussi favorisé des invasions d’insectes, des doyens de la filière coton estiment qu’il s'agit de « la pire année pour toutes les cultures, le coton notamment ». Ils craignent même une compromission de la prochaine « si le climat ne se comporte pas comme il se doit, et surtout si l’encadrement de nos producteurs n’est pas soutenu rigoureusement ». Parce qu’aujourd’hui, des producteurs ne respectent pas les techniques propres à la culture cotonnière. Ils attendent d’acquérir les intrants auprès de la NSCT, et s’y lancent, sans maitriser les vraies techniques. Par exemple, les engrais qu’on leur remet sont ceux qu’il faut pour que le coton donne de véritables capsules, mais beaucoup de producteurs les utilisent également pour cultiver le soja ou le maïs », dénoncent plusieurs observateurs, appuyés en cela par d’autres acteurs de terrain : « le producteur, après avoir eu son engrais pour le coton, n’utilise pas la quantité indiquée ; au lieu de 06 sacs/ha par exemple, il va mettre 04/ha). Le reste est destiné au maïs », font-ils savoir.

 

Dans cette contradiction majeure, les "grands producteurs" portent haut un argument : « des techniciens recrutés juste à la fin de leurs études (nous ne les minimisons pas), n’ont pas assez d’expérience à transmettre aux producteurs sur le terrain. Pour eux, « il faut des techniciens ou encadreurs avertis pour mieux conseiller et suivre les producteurs qui ne manqueront pas d’obtenir des rendements extraordinaires ».

 

La bonne technique passée au second plan ?

 

Dans les régions de la Kara et Centrale où les agriculteurs ont aussi connu une période de végétation difficile, les récoltes n’ont pas répondu aux attentes. Au-delà des carences hydriques,  « les techniques de production ont connu des variations diverses, du fait que des personnes se faisant passer pour des connaisseurs en la matière ont influencé des producteurs avec leurs propres méthodes », révèlent des encadreurs qui suggèrent de leur côté que « les techniciens agricoles s’asseyent pour adopter une ou des formules communes de culture du coton ; parce que le fait de suivre d’autres individus qui prétendent détenir la meilleure pratique éparpille nos efforts sur le terrain », pensent-ils. 

 

Plusieurs localités de la région centrale ont été dotées de nouvelles variétés de coton (cotonniers géants), avec des recommandations précises sur les itinéraires techniques qui ne les ont pas convaincus. « Leurs techniques ne sont pas efficaces pour nous qui connaissons mieux nos terres », arguent des producteurs qui affirment avoir choisi de faire fi des recommandations de leurs assistants, tout en pointant plutôt « les caprices de la pluie qui ont généré les mauvais rendements ».   

 

Dans d’autres régions comme dans les Plateaux où la situation hydrique semblait relativement bonne, des producteurs tirent tant bien que mal leur épingle du jeu, passant parfois la barre d’une tonne de coton graine à l’hectare. Mais ils justifient leurs résultats mitigés par « le déficit avéré de techniques assimilées à la culture du coton », reconnaissant que « l’écartement n’est pas respecté chez nous, alors qu’il faut un plant piqué par poquet. Nous essaierons de suivre les normes requises pour avoir de bons rendements dans les années à venir », promettent-ils.

La NSCT affecte des conseillers/encadreurs auprès des producteurs sensés leur enseigner toutes les techniques devant permettre d’accroitre leurs rendements. Ne devrait-elle pas réviser son système d’assistance technique aux cotonculteurs ?

  

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Le soja aussi motive la baisse des rendements

 

Bon nombre de paysans ont du penchant pour la culture du soja que celle du coton, constate-t-on sur le terrain. Les concernés affirment que l’oléagineux est « plus simple à cultiver avec moins de contraintes, et procure finalement assez de gains que le coton ». En plus de cet "avantage", ils précisent que « c’est très facile de récolter rapidement et d’aller vendre une certaine quantité de soja au marché pour satisfaire temporairement ses besoins, alors que le coton ne peut être vendu aussi rapidement si ce n’est qu’à la NSCT qu’on doit attendre  jusqu’à la fin des récoltes pour rentrer dans ses droits ». C’est ainsi que plusieurs producteurs optent souvent pour l’oléagineux et le maïs que pour le coton et le soja.

 

Il s’avère par ailleurs, que n’ayant pas les moyens d’acquérir les intrants nécessaires pour leurs cultures de prédilection, beaucoup de paysans sollicitent les intrants de la NSCT pour cultiver du coton et, une fois de retour dans leurs localités, ils s’adonnent plutôt aux cultures du soja et du maïs qui leur rapporteraient plus d’argent après la récolte.   

 

Les volumes espérés des surfaces des cultures ayant manqué à l’appel, il est donc impossible que la NSCT enregistre de bonnes prises de l’or blanc cette saison finissante. Alors que la société a promis des prix garantis aux producteurs. Ceux de la saison précédente étaient fixés à 254 F CFA le kilogramme. 

 

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Persévérer malgré la baisse 

 

Des cotonculteurs ont performé, mais la réalité est peu reluisante sur le terrain. Les observateurs avisés de la filière relèvent que les productions du coton auraient chuté de près de 50% par rapport à l’année dernière. Selon les mêmes experts, « il faudra attendre la saison prochaine pour espérer rétablir une production normale, voire aller au-delà ».

 

En attendant, la NSCT et ses partenaires techniques et financiers du groupe "Olam" sont contraints de composer avec la situation irréaliste que vit la filière coton. Ils devront donc gérer les stocks enregistrés (insuffisants soient-ils) pour leurs besoins.

 

Au Togo, le coton rapporte environ 50% des recettes d’exportation agricole, soit en moyenne 50 milliards Francs CFA par an. Selon monsieur Simfeitchéou Pré, président du conseil d’administration de la NSCT, « le coton s’affirme comme la première culture industrielle du Togo, et le quatrième produit d’exportation du pays ».

 

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Le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Mali, le Nigéria, le Sénégal et le Togo sont les principaux pays producteurs de coton en Afrique de l’Ouest.

 

Selon un rapport publié par COMMODAFRICA, la campagne cotonnière 2021/22 s’annonce excellente en Afrique de l’Ouest, et devrait atteindre un record. Avec une superficie plantée progressant de près de 28% pour atteindre 2,8 millions d’hectares, la production de coton grimperait de près de 50% pour atteindre 6,24 millions de balles en 2021/22, selon les chiffres donnés par l’US Departement of Agriculture (USDA). Ce résultat significatif est obtenu grâce au Mali. Il est cependant dans une moindre posture au Bénin, au Burkina, en Côte d’ Ivoire, stagne au Nigeria, au Sénégal, et baisse au Togo en raison de la sécheresse au début de la saison.

La culture du coton est l’apanage d’environ 220 000 producteurs au Togo.

Jacques Sourou DOUTI Journaliste, Consultant en communication pour le développement | Directeur de publication de Nzaranews