Togo : Une crise alimentaire en 2022 ?
L'agriculture n'a pas été épargnée par les effets de la pandémie du coronavirus. Une enquête réalisée par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) révèle les contraintes générées par la crise sanitaire et les conséquences subies. En l'absence d'une réponse adéquate, ces difficultés pourraient évoluer en crise alimentaire.
Depuis novembre 2019, le monde est confronté à la pandémie du coronavirus provoquant ainsi des conséquences socio-économiques, culturelles, environnementales, sanitaires, … A l’instar du reste du monde, la maladie a été détectée au Togo, et la multiplication de cas confirmés a contraint les autorités à prendre des mesures de prévention pour limiter sa propagation. La durée et l’ampleur de la progression de la pandémie créent des distorsions au sein de l’économie nationale, non seulement en raison de ses conséquences propres, mais aussi d’effets découlant des mesures de réponse prises au niveau national et international.
La situation alimentaire devient davantage difficile au Togo. Sous le prétexte de la pandémie de la covid 19, les denrées alimentaires de première nécessité connaissent une flambée de prix dans la région Centrale tout comme celle de la Kara où, par exemple, la mesure de 3,5 kg de maïs qui coûtait 250-300 francs CFA, est vendue aujourd’hui à 600-700 francs CFA. Les commerçantes justifient ces coûts par le fait que les transporteurs, dans leur souci de compenser les pertes découlant de la diminution du nombre de sièges de leurs clients, ont augmenté les tarifs des voyages.
D’autre part, et dans les deux régions précitées, les récoltes du haricot et du soja connaissent des perturbations à cause des précipitations inattendues sur les zones de cultures.
L’économie togolaise reste dominée par le secteur primaire, notamment l’agriculture qui emploie 60% de la population active et représente 22,5 % du PIB (Banque mondiale, 2021). Pourtant, l’analyse du Questionnaire unifié des indicateurs de base du bien-être (QUIBB) réalisée en 2016 indiquait que 47% des ménages avaient été en situation d’insécurité alimentaire au cours de douze mois précédents. Cette proportion était plus importante en milieu rural (51%) qu’en milieu urbain (42%) (Institut national de la statistique et des études économiques et démographiques, INSEED, 2016).
Par ailleurs, l’enquête de suivi sur les effets de la COVID-19 et des autres chocs sur les chaînes alimentaires, les moyens d’existence et la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Togo, menée par l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a révélé qu’au cours du premier trimestre 2021, la pandémie et les mesures de restriction prises par le Gouvernement pour en atténuer la propagation, associées aux aléas climatiques ont eu de grandes répercussions négatives.
Dans la région des Savanes, les conditions climatiques n’ont pas du tout favorisé cette saison 2020-2021 une bonne récolte des différentes cultures, notamment le maïs, le haricot, le sorgho, le soja, le coton, le riz. A telle enseigne que la campagne agricole de l’année n’a pas du tout comblé les espoirs. Le maïs a quelque peu réussi pour ceux-là qui ont semé dans les premières décades de juin. Mais la plus grande partie des champs mis en valeur à la mi-juillet début août, par les producteurs a été perturbée par l’irrégularité, voire l’absence des pluies jusqu’en septembre. Ces derniers n’ont donc pas récolté. « Il y a des parcelles sur lesquelles des producteurs n’ont pas enlevé un seul épi », affirme madame Lamboni Potoite, membre de la coopérative Nathaane à Tandjoare.
Cette situation est quasi-générale dans la région des Savanes pour toutes les cultures, à cause de la fin assez nette et brusque des pluies. « La famine se profile à l’horizon », entend-on aussi bien du côté des paysans que des techniciens agricoles. Les denrées alimentaires de première nécessité qui coûtaient 250-300 francs CFA en ces périodes d’octobre, novembre et décembre connaissent une flambée de 600-700 francs CFA dans toute la région des Savanes. Que peut-on imaginer pour les mois à venir, jusqu’au début de la saison culturale prochaine ?
Selon l’enquête de suivi de la FAO sur les effets de la COVID-19 et des autres chocs sur les chaînes alimentaires, les 4 449 ménages interrogés n’ont globalement pas été en mesure d’exercer leur activité agricole dans des conditions satisfaisantes. Les trois quarts des ménages particulièrement dépendants de la production agricole (cultures, élevage et/ou pêche de subsistance) ont été plus sévèrement atteints, en raison de nombreuses difficultés. D’abord, l’accès à l’aliment pour bétail, à l’eau, aux pâturages et/ou aux services/intrants vétérinaires (96% des ménages). Ensuite, l’accès aux intrants agricoles (25%), la hausse des prix des intrants et des services avec une faiblesse du pouvoir d’achat. Enfin, les difficultés à commercialiser la production domestique sur les marchés (notamment en raison des mesures de restriction à la circulation et/ou de la fermeture des marchés).
Ces difficultés ont eu plusieurs répercussions négatives rapportées par les ménages interrogés quant à leur production vivrière, animale et halieutique. Entre autres, la réduction des superficies cultivées (42% des ménages), la baisse des rendements et de la production agricole (73%), la diminution du cheptel (40 à 54% des ménages d’éleveurs), la baisse significative des revenus et donc du pouvoir d’achat (69%). Les pêcheurs et pisciculteurs interrogés ont signalé, en dehors du faible équipement en matériels et intrants, avoir rencontré des difficultés dans la pratique de leur activité (89%). Ces contraintes ont entraîné une diminution de la quantité de poissons capturée, d’après la majorité des répondants (75%).
Il faut rappeler qu’en agriculture extensive/élevage extensif, une baisse de la superficie cultivée ou du nombre de têtes d’animaux élevés représente une énorme perte. En plus de la diminution des produits de la pêche, cet état des lieux est susceptible de conduire à une pénurie précoce de denrées alimentaires. Aussi, la situation alimentaire mesurée selon l’échelle FIES (échelle de mesure de l’insécurité alimentaire) montre qu’au moment de l’enquête, 59% des ménages était en situation d’insécurité alimentaire modérée (repas sauté ou manque de nourriture) et 25% en situation d’insécurité alimentaire sévère (indisponibilité d’aliment).
Au regard de tous ces changements constatés, le Togo pourrait être confronté, dans un futur proche, à une crise alimentaire. La flambée de prix des produits de première nécessité, couplé de la diminution du pouvoir d’achat entraîné par la baisse des revenus des populations, pourrait conduire à un important déséquilibre menaçant la sécurité alimentaire du pays.
Des mesures urgentes devraient être prises afin d’éviter la catastrophe. La FAO a formulé plusieurs recommandations susceptibles d’aider à remédier à la situation. Entre autres, celle d’apporter très rapidement une aide appropriée aux populations en phase de crise, de réhabiliter/soutenir les activités génératrices de revenus des groupes vulnérables, de développer de nouvelles opportunités de revenu et surtout, de poursuivre le suivi et l’évaluation des effets de la COVID-19.