Togo : un pesticide non homologué sur le marché

Juillet 14, 2021 - 14:35
Novembre 23, 2021 - 16:05
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Togo : un pesticide non homologué sur le marché
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Plus d’un an après l’interdiction de « l’importation, la commercialisation et l’utilisation du glyphosate non homologué et tout produit le contenant », le glyphosate circule toujours dans plusieurs marchés des régions du Togo. La région des Savanes est l’une des régions où ce pesticide est abondamment utilisé par les agriculteurs, malgré l’arrêté interministériel du 19 décembre 2019 du ministre de l’Agriculture, de la Production Animale et Halieutique interdisant ce produit dangereux. Bien qu’ayant été classé en 2015 \"cancérigène probable\" par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ce pesticide non homologué continue d’être commercialisé avec les risques encourus relativement à la pollution et à la dégradation de la biodiversité, à l’environnement et à la santé.

« Nous n’avons pas assez de produit homologué au cours de cette campagne agricole, tandis que les pesticides non autorisés en provenance du Ghana pullulent dans toute la région des Savanes », fait observer M. Boniface Tchinliek, exploitant agricole et un des grands producteurs de semences améliorées certifiées de la région.

Un danger ignoré

Dans certains carrefours de la ville de Dapaong et des boutiques des villages environnants, ainsi que d’autres préfectures comme Cinkansé, Mandouri, Tandjoare et Oti, le glyphosate importé du pays voisin est facilement remarquable dans les boutiques et marchés périphériques. Et la ruée des paysans sur cet herbicide est perceptible en ce début de saison agricole. « J’ai utilisé ce produit, l’année passée, et n’ai pas trouvé de réels d’inconvénients. C’est pour cela que je suis revenu pour m’en procurer cette année pour faire mon champ », fait savoir Kokou Amadou cultivateur à Tchanaga (préfecture de l’Oti). A Dapaong-ville, Bombouaka, Nano (préfecture de Tandjoare), Nanergou (préfecture de Tone) et Naki-Est, le même justificatif est donné par les producteurs qui ont recours aux intrants non homologués : « Nous n’avons pas de problèmes - pour le moment, en tout cas - lorsque nous utilisons les pesticides provenant du Ghana », affirment-ils.

Une équation complexe

Les acteurs du monde agricole ont des avis partagés sur la question. « Je suis d’accord qu’on fasse disparaitre, sur les étalages de nos marchés, ce pesticide dont les notices sont éditées uniquement en anglais parce qu’il est nuisible à la santé humaine », suggère M. Tchinliek. Il justifie sa position par le fait que « le Ghana avec lequel notre pays est frontalier dispose d’une certaine emprise sur le marché commercial de la région des Savanes, avec un pesticide non homologué qui pourrait causer des ennuis de santé aux populations, alors que nous autres, continuons à payer des taxes ». « Dans tous les marchés de la région, souligne-t-il, le glyphosate non homologué est visible ».

Sur le terrain, il y a un manque notoire de pesticides agréés. Les responsables de l’agriculture organisent, en ce moment, le marché d’herbicides pour localiser des distributeurs agréés, en vue de réglementer le secteur de fourniture d’intrants.

L’Institut Togolais de Recherche Agricole (ITRA) joue un rôle important dans ce domaine. A terme, les distributeurs agréés auront le monopole de vente d’herbicides dont la différence de prix n’est pas pour autant grande. Si l’herbicide provenant d’ailleurs coûte actuellement 2 200 F CFA sur les divers marchés (En dépit du fait qu’il ne soit pas réglementaire), celui agréé se vend à 2 500 F CFA.

« C’est la qualité qui explique la différence de prix. Lorsque nous aspergeons la terre pour éliminer les mauvaises herbes, nous nous rendons compte que ce que l’Etat fournit à travers les pesticides agréés rassure en termes d’efficacité, contrairement aux intrants du Ghana », reconnaissent les paysans. 

Des inconvénients à long terme

Au moment où les producteurs déplorent la rupture de stocks du glyphosate, un technicien-conseiller agricole de l’Institut de Conseil et d’Appui Technique (ICAT), M. Kompara, déconseille vivement la méthode qui consiste à détruire systématiquement les herbes sur le sol avant toute activité agricole. « La composition organique du sol est affectée et dans vingt ans, c’est tout le couvert végétal qui est voué à la disparition », précise-t-il. « Notre zone ne s’y prête pas. La mécanisation et les intrants biologiques sont plutôt les bienvenus ».

Pour un autre technicien agricole indépendant, M. Bamitié Kolani « les paysans et nous-mêmes, ne retrouvons pas le glyphosate homologué, et donc, nous achetons celui disponible à plein temps sur le marché. Sinon qu’allons-nous faire ? ». 

Cette argumentation fait dire à M. Boniface Tchinliek que « les risques que l’on veut éviter sont toujours là, et nous souhaitons qu’on mette rapidement en place des garde-fous sur le terrain pour empêcher le déversement du mauvais herbicide sur le marché togolais ou mieux, contraindre les importateurs illégaux à abandonner ».

A quand le bout du tunnel ?

Au Togo, le Glyphosate non homologué est interdit à l’instar des autres pesticides non homologués. A ce propos, le communiqué gouvernemental indiquait : « Dans le souci de préserver non seulement l’environnement mais aussi la santé humaine et animale, il est formellement interdit d’importer et de commercialiser les pesticides non homologués notamment le Glyphosate sur l’ensemble du territoire conformément à la loi N° 96-007/PR du 03 juillet 1996 ». L’arrêté ministériel de décembre 2019 mettait ainsi un terme à deux années de supputations et de malentendus autour du Glyphosate, au cours desquelles les avis étaient partagés sur son utilisation ou non.   

Des descentes inopinées des Agents de la Direction de la Protection des Végétaux accompagnés des forces de l’ordre ont eu lieu récemment dans plusieurs régions du pays pour vérifier la provenance de pesticides dans des lieux de vente de plusieurs villes, cantons et villages. Certes, des saisies ont été opérées mais visiblement, le problème persiste pour de diverses raisons.

Selon des spécialistes nationaux, en 2020, le Togo n'en était qu'à la moitié du chemin avec moins de 50% d'utilisation du glyphosate, et de nouvelles interdictions formulées depuis deux ans.

Jacques Sourou DOUTI Journaliste, Consultant en communication pour le développement | Directeur de publication de Nzaranews