Togo : quid du soja et du coton ?

Juillet 19, 2021 - 14:04
Novembre 23, 2021 - 16:09
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Togo : quid du soja et du coton ?
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Depuis 2019, le Togo est devenu l’un des principaux fournisseurs dans le commerce mondial, en l’occurrence l’espace Schengen, du soja biologique. Le dernier rapport élogieux de la Commission de l’Union Européenne annonce une belle perspective pour la production du soja qui pourrait atteindre un niveau historiquement élevé à la fin de la saison en cours (2021/2022). Il est, cependant, remarquable que la culture du soja prenne le dessus comparativement à celle du coton. Conséquence du succès commercial enregistré par les différents acteurs de la filière lors de la précédente saison. Les producteurs sont en cela encouragés par des investisseurs qui s’intéressent, de plus en plus, à ce créneau. Les responsables de la Nouvelle Société de Coton du Togo (NSCT) tentent, de leur côté, d’équilibrer la tendance.

Dans la région des Savanes, la production du soja reste la priorité des paysans menacés, quelque peu, cette saison par le retard des pluies. Au-delà des frustrations et inquiétudes générées par les aléas climatiques, chacun essaie d'appréhender les facteurs déterminant le bon rendement du soja bio. Le pari de ces acteurs, en s’adonnant plus à la culture du soja, est de produire beaucoup pour gagner plus, à cause du renchérissement de la demande sur cette spéculation. Le prix du bol de trois kilogrammes de soja varie, en ce mois de juillet 2021, entre 1 150 et 1 250 frs CFA. Ceux et celles qui ont pu stocker les graines du soja se frottent les mains, parce que les producteurs qui ont déjà vendu leur stock, dès les récoltes, leur ont cédé le bol à 350 francs CFA : « C’est fort de cette expérience que nombre de paysans des villages et même des hameaux se fixent comme objectif, pendant cette saison, de se consacrer prioritairement à la production du soja avant le maïs, pourtant aliment de base des populations » indiquent des responsables techniques agricoles.

L’impact de la production sur les communautés locales 

« Le soja est très vite acheté sur le marché après sa récolte, ce qui nous permet de nous approvisionner rapidement en nourriture et autres besoins en attendant les autres récoltes de maïs, sorgho, coton, mil, », fait remarquer M. Kokou Kodjo, cultivateur à Tchanaga (préfecture de l’Oti). En plus de cet \"atout\", de nombreux producteurs notent que la culture du soja a plusieurs avantages. « On peut en obtenir du lait, de l’huile, des tourteaux pour nos animaux. Avec les graines, on fabrique également du fromage et des brochettes (à base de pâte de soja). Un mets qui fait le bonheur des uns et des autres dans les cabarets de « Tchakpaloo » - la boisson locale - à la grande joie des revendeuses qui sont répandues dans toutes les localités », relève Boniface Tchinliek, un des grands producteurs du soja basé à Dapaong qui ajoute : « le paysan qui a besoin d’argent en urgence, arrive ainsi à satisfaire rapidement ses besoins, parce qu’il a la possibilité de vendre un, deux ou trois bols de soja à celui-là qui veut le transformer pour gagner tout de suite aussi de l’argent pour ses besoins ».  

Pour sa part, Michel Laré-Djoitoaka, cultivateur à Tandjoare, fait observer que « le paysan producteur transforme également le soja en moutarde, devenant ainsi consommateur et vendeur à la fois, parce que cette moutarde est très prisée sur le marché. Tandis que pour vendre le coton, il faut toujours espérer des rendez-vous la NSCT, pour ensuite rentrer dans ses droits bien plus tard ».

La réalité de la culture du soja et de sa rentabilité économique, de ses éléments nutritifs et de la disponibilité immédiate du marché d'écoulement, accroissent ce penchant absolu pour sa production qui ne cesse d'améliorer ainsi son niveau de rendement dans la région des Savanes qui a fourni « quelques 900 tonnes » de cet oléagineux (2020-2021). Cette prépondérance soudaine du soja sur le coton est justifiée, selon Boniface Tchinliek, par le fait que : « Le coton récolté doit attendre les potentiels acheteurs, et le producteur devra d’abord le vendre pour qu’il soit traité avant de l’exporter, en attendant que les producteurs encaissent les revenus plus tard. C’est aussi l’une des raisons qui pousse les cotonculteurs à se lancer dans la culture du soja ».

L’intérêt pour les producteurs est avant tout économique, car la culture s’en trouve simplifiée : « il n’y a plus besoin de labour, les cultures sont plus résistantes et ont donc besoin de moins de traitements. Bref, sa culture n’impose pas assez de contraintes comme celle du coton »,précise Jérémie Douti, agriculteur à Bombouaka (Préfecture de Tandjoare).

Aujourd’hui, plusieurs sociétés locales et quelques \"privés\" favorisent la majeure partie du marché du soja dans la région des Savanes. Certains arrivent à conclure des accords de financement avec des producteurs, parfois réunis en coopératives, avant de se charger de l’enlèvement du produit pour l’exportation.

Selon un récent rapport de la Commission de l’Union européenne (UE) sur l’importation des produits bio, le Togo se classe comme le 1er pays exportateur mondial de soja bio vers cet espace. De 42 300 tonnes de soja bio exportées en 2019 dans cet espace, le pays a occupé la même place avec 51 000 tonnes en 2020, soit une hausse de 20,4%.

L’offensive de la NSCT

Pour redonner assez de force aux cotonculteurs, la Nouvelle Société de Coton du Togo a pris un certain nombre de dispositions, achetant au début de la saison en cours la quasi-totalité de semences améliorées certifiées dans la Région des Savanes. « Ils voulaient plus de sept cent (700) tonnes de semences du soja pour les redistribuer aux producteurs de coton ; mais il y avait une insuffisance ; il n’y en a plus aujourd’hui alors que la demande explose », fait remarquer Boniface Tchinliek, un des plus grands fournisseurs de semences de la région. D’aucuns estiment à cet effet que « la NSCT créée ainsi la pénurie de semences pour faire barrage à la filière soja ».

Au niveau de la Société reprise par le groupe singapourien, OLAM International, l’on voudrait au contraire caractériser les systèmes de culture à base de soja en prônant la rotation soja-coton, maïs-soja, avec l'utilisation très faible d'engrais minéraux et organiques. Monsieur Badjagoma Abdou-Malik, coordonnateur des actions coton à Mango (Préfecture de l’Oti) précise à cet effet : « Nous ne faisons pas une politique de concurrence avec le soja ; nous mettons, nous aussi l’accent sur le soja parce que nous voudrions seulement permettre aux producteurs de soja qui font du coton d’augmenter leurs revenus, en les accompagnant techniquement dans les rotations de cultures. Aujourd’hui, un producteur de coton qui veut faire aussi le soja est fourni en semences améliorées certifiées ; par exemple le producteur de coton qui veut cultiver un hectare, obtiendra des semences pour un demi-hectare pour faire du soja ».   

Des  initiatives d’encouragement des producteurs                                                           

Le groupe a promis d’augmenter « le rendement de près de 230 milliards FCFA et atteindre une production de 225 000 tonnes pour le coton en 2022 et d’accroître de 0,6 tonne par hectare le rendement (qui est actuellement de 0,9 t ou 1 t/ha). La revue en hausse du prix d’achat du coton de 225 F CFA à 254 F CFA va sans doute redonner espoir aux producteurs de se lancer davantage dans la production. Dans ce cadre, les nouvelles autorités de la Nouvelle Société ont entrepris début juillet de rembourser 10 frs CFA/kg aux producteurs de coton vendu la saison dernière pour encourager les acteurs qui doivent donc produire désormais à grande échelle.

La NSCT prévoit également de produire près de 2 millions de tonnes pour le maïs et, près de 140 mille tonnes de Soja. En clair, « il s’agit d’une diversification agricole où les producteurs de coton auront les parcelles dédiées au soja et pourront diversifier leurs revenus », souligne M. Badjagoma Abdou-Malik, Coordonnateur des actions coton à Mango.

Insatisfaite du rendement de la dernière campagne (116 000 t de coton graine), la NSCT compte remobiliser autour de la filière coton les producteurs qui ne seraient pas motivés par la chute du prix du kilogramme.

Première culture de rente au Togo, le coton contribue à 4% de la richesse nationale. Le secteur bénéficie d’une attention particulière du gouvernement, qui ambitionne de le faire passer à l’étape supérieure.  

Jacques Sourou DOUTI Journaliste, Consultant en communication pour le développement | Directeur de publication de Nzaranews