Togo : les producteurs agricoles voient rouge dans les Savanes

Les populations de la région des Savanes togolaises n’en reviennent pas. Leur saison agricole est désastreuse. L’heure est grave pour les uns, pire pour plusieurs autres. Les cultures de maïs, soja, sorgho, coton, arachide, haricot n’ont connu que de rendements approximatifs. Les conditions agro climatiques leur ont été défavorables. La fin brusque des pluies vers la fin août début septembre a étonné tous les cultivateurs/producteurs. La rareté des pluies entre fin juillet, août et septembre ont probablement créé de nouveaux foyers d’insécurité alimentaire. Dans les ménages, au sein des coopératives agricoles et sur les marchés locaux et régionaux, l’incertitude s’est installée, dans la crainte d’une future famine.

Novembre 16, 2021 - 12:26
Novembre 16, 2021 - 14:59
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Togo : les producteurs agricoles voient rouge dans les Savanes
Un agriculteur déçu lors de la récolte

Les périodes prolongées de chaleur et de faible humidité ont causé du tort à l’agriculture dans la région des Savanes. La vague de chaleur qui s'y est abattue durant la période fin juillet à fin septembre 2021, aura eu des répercussions très négatives sur les cultures. Les agriculteurs qui ne savaient plus à quelle technique se fier pour sauver la situation. Le malheur ne venant pas seul, la même situation a généré des attaques de parasites, rendant la tâche du paysan très délicate et causant des incidences négatives sur les champs de cultures. L’état des récoltes des céréales et de grains s’achève avec de très faibles rendements. La moyenne générale des récoltes combinées se situerait à 40% de la normale pour toutes les cultures. Elle a donc nettement baissé par rapport aux moyennes des 5 et 10 dernières années.

 Naparou Douti, agriculteur à Bombouaka-Tandjoare  fait son appréciation de la saison agricole finissante : « c’est une déception totale, puisque les rendements n’ont pas du tout répondu aux attentes par rapport aux années passées. C’est une catastrophe, et nous avons peur que la famine s’installe ».

Selon Tchatangue Boniface Goumpoungi, doyen agricole basé à Dapaong, « la récolte de cette année est la pire de l’histoire de la région, ou du moins, la pire depuis 2005 », année du décès du président Gnassingbé Eyadema. A l’époque, les familles ne se nourrissaient que du riz pour la pâte et sa consommation brute. « Eyadema est parti avec la nourriture », disaient-ils.

Prisca Nassoba, sociologue à Bombouaka n’a eu qu’une très mauvaise récolte de son champ familial de maïs. « Nous avons eu sept sacs et demi de 40 bols de 3,5 kg l’an dernier sur une parcelle de 0,50 ; cette année nous nous sommes retrouvés avec deux sacs seulement ». Prisca et son mari ont leur alternative pour la gestion de leur foyer : « nous réfléchissons sur comment faire en sorte que la famille puisse s’alimenter deux fois par jour. Comme il y a d’autres céréales (haricot, riz), nous pouvons les associer pour pouvoir régler la vie familiale ; ce ne sera pas aisé, mais nous faisons avec… ».

Forte hausse des prix des céréales sur le marché

« Le bol de trois kg de maïs se vend à 650-700 F CFA en cette période d’octobre-novembre », fait observer Tchatangue Boniface Goumpoungi, technicien agricole qui affirme : « je n’ai jamais vu ça depuis ma naissance ; ailleurs, vers la frontière Togo-Burkina la mesure de mais est monté jusqu’à à 750 F CFA. Cela démontre que la famine pointe à l’horizon, et il faut s’y préparer. Il faut que chacun conserve bien ses récoltes dès à présent » conseille-t-il. « Donc si aujourd’hui quelqu’un s’emploie à vendre, il va sûrement acheter le bol à 1 000 F CFA dans deux ou trois mois ».  

Lire aussi. Togo : une crise alimentaire en 2022 ?

Les cultures de riz, arachide et haricot ont subi aussi les caprices de la nature. « Le haricot et  l’arachide coûtent actuellement 1 500 le bol sur le marché, et ce n’est pas de bonne qualité ; alors qu’à la récolte, il coûtait 800-1 000 francs au plus. Alors, si nous arrivons à conserver un bidon de 25 litres, avec un petit stock de maïs ça peut aller avec les autres vivres », prévoit Rafiatou Aboubakar, ménagère à Cinkassé.

L’avenir inquiète plusieurs familles, dont des couples devront s’entendre pour arriver à bout de leurs problèmes. « Moi je détiens un petit commerce qui me permettra d’aider mon mari à satisfaire aux besoins de la famille », fait savoir Madeleine Bombome, habitante du Kpendjal très inquiète pour les mois à venir.   

La période de soudure est loin de commencer, et les producteurs déçus préfèrent étaler dans le temps l’utilisation de leurs stocks, ce qui contribue à maintenir des prix élevés, d’autant qu’il n’y a plus de ventes. Et il faut s'attendre à ce que cela dure dans un contexte généralisé de hausse des prix des céréales, marqué par la crise sanitaire du Covid-19.

Les commerçantes chôment sur le terrain

Les acheteurs qui se fournissent en gros peinent à trouver ce qu’ils recherchent sur les marchés. « Tout est cher. Et pas seulement le maïs, produit le plus recherché que nous ne trouvons pas. Le haricot est également recherché en ce moment. En temps normal, les femmes qui ont du stock nous les revendent, mais on n’en trouve pas du tout », raconte Mariama Alfa, revendeuse de céréales qui précise : « nous nous interrogeons sur ce que demain sera ». Mariama a obligation de résultat, dans la mesure où elle doit s’approvisionner pour bénéficier à partir des marchandises à acheter. Mais c’est la déception. « Les dieux du ciel ne sont pas avec nous cette saison ; nous allons souffrir », dit-elle.

Faut-il entrevoir une famine dans la région ?

« La vie durant les six prochains mois sera difficile, très difficile », prédit Tchatangue Boniface Goumpoungi, arguant : « aujourd’hui le maïs manque à l’appel, et le soja aussi n’est pas au rendez-vous, alors qu’on pouvait le vendre pour acquérir d’autres besoins pour résoudre les petits problèmes de la maison. Je voudrais dire que le manque de soja poussera à l’épuisement précoce du peu de maïs récolté, et vive la famine après. Ainsi rentreront en jeu les problèmes de santé, parce qu’on ne mangera pas bien ». Le doyen agricole prône donc la prudence au niveau des familles, estimant que « la vie sera complémentaire entre l’homme et la femme. Prions pour la santé pour tenir avant la prochaine saison  », conclut-il.

D’autres voix souhaitent vivement que « le ministère de l’agriculture initie des actions pour la maitrise de l’eau, pour promouvoir davantage le jardinage ; ce qui contribuerait à surmonter les éventuelles difficultés provenant des conditions climatiques défavorables aux cultures pluviales ».

Pour l’heure, l’avenir parait problématique pour une très large partie des populations de la région des Savanes qui redoutent la famine. Les produits agricoles, aussi bien dans les exploitations familiales que dans les regroupements ont subi les contrecoups du climat. Mais tout en prenant en compte les inquiétudes sur l’avenir que pourrait réserver la situation, chaque famille et association doit s’organiser de manière à surmonter la crise, et maintenir le cap pour la saison agricole 2021-2022. Et il y a encore six "pénibles" mois devant !

Jacques Sourou DOUTI Journaliste, Consultant en communication pour le développement | Directeur de publication de Nzaranews