Togo : Des récoltes vendues au rabais

Juin 25, 2021 - 12:15
Novembre 23, 2021 - 15:51
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Togo : Des récoltes vendues au rabais
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Les stocks d’oignon de la saison souffrent encore dans les magasins et sur le site de production à Sadori (préfecture de l’Oti), canton situé sur la nationale N°1 à une dizaine de kilomètre au Sud de la ville de Mango. Après avoir attendu des mois pour vendre leurs récoltes d’oignons et de légumes (piment vert, épinard, gombo) faute de marché, les membres de la coopérative \"Afima Dima\" (Manger à la sueur de son front), sont à la merci des marchands opportunistes.

Une situation qui n’enchante guère les 132 femmes et hommes de ladite coopérative qui travaillent sur sept hectares aménagés depuis la mise en place du Projet de Développement Rural Intégré dans la Région des Savanes (PDRIS), il y a une douzaine d’années.

C’est avec une grande déception que les membres de la coopérative (composée de cinq sous-groupes) accueillent les collecteurs d’oignon dans le canton de Sadori. Alors que l’euphorie des producteurs a été grande à la récolte de plus de 130 tonnes d’oignon cette saison 2021. « Les achats ne sont pas à la hauteur de nos espérances. Nos récoltes sont payées à moitié prix seulement par des commerçants. Et comme pour détourner notre attention, d’autres acheteurs sillonnent le village à la recherche d’intermédiaires qui, à leur tour, viennent à nous pour réaliser des achats non conformes à notre règlement intérieur », explique, très amer, M. Ponty Yendoubé, secrétaire général d’\"Afima Dima\".  

Selon M. Yendoubé, la coopérative n’a pas d’acheteurs agréés avec qui elle peut conclure des marchés. « Nous ne connaissons pas d’acheteurs agréés qui achètent nos produits à leur juste prix. Au lieu d’acheter nos sacs d’oignon de 200 kilogrammes à 25 000 francs, ceux qui viennent, préfèrent les prix en deçà des montants que nous avions adoptés, 18 000 voire 16 000 francs. Devant cette situation les vaillants producteurs sont impuissants et donc, s’alignent sur les propositions des marchands. « Puisque nous avons un besoin vital d’argent pour faire vivre nos familles. On ne peut se fâcher qu’après avoir accepté le prix que les acheteurs nous imposent », avoue Mme Lila Aboudou, représentant les 70 femmes membres d’\"Afima Dima\". Même sort pour les légumes récoltés. D’où des frustrations de part et d’autre des productrices à bout de patience. « Nous sommes obligés d’attendre alors que nous sommes confrontés à un manque de ressources économiques, matérielles et financières amenuisant, sans cesse, notre épanouissement quotidien », se lamente Mme Aboudou.

Les revendeuses de la Kara à la rescousse 

Le salut des vendeurs émane parfois de \"la publicité\" que certains membres de la coopérative mènent vers l’extérieur, et qui parvient aux oreilles d’autres commerçants. C’est ainsi que des \"femmes grossistes\" en provenance de la région de la Kara vont s’approvisionner à Sadori. « Mais, ces femmes viennent aussi avec leurs prix d’achat », précise Ponty Yendoubé qui s’empresse d’ajouter : « mais nous ne pouvons rien dire, nous sommes résignés ». Mme Lila Aboudou, de son côté, attire l’attention sur le fait que ces femmes sont « très influentes ». Elles s’imposent, vu probablement que nos légumes, piments, oignons sont restés sous nos bras, elles font pression. Vraiment, nous ne pouvons que céder. Nos efforts sont bafoués parce que nous avons un besoin criard d’argent ».

Une agrégatrice se proclamant partenaire du Mécanisme Incitatif de Financement Agricole (MIFA) aurait conclu, la saison dernière, un accord d’achat avec la coopérative \"Afima Dima\". Cependant : « Ce ne fut pas facile le moment venu. Nous avions dû insister pendant plus de deux mois avant qu’elle ne nous envoie notre argent, alors que nos sacs d’oignons, encore invendus, pourrissaient », expliquent les membres de la coopérative, précisant qu’il était convenu qu’elle revienne enlever les sacs d’oignon restants. « Mais peine perdue, peut-être que nous n’étions pas tombés sur la bonne personne », regrettent-ils.

Le prix du sac de 50 kilogrammes de piment qui variait entre 30 et 40 mille francs CFA est vendu à 20 000 francs à Sadori. Les producteurs n’ont pas la possibilité de convoyer eux-mêmes leurs récoltes vers des centres d’achat régional ou national plus décents. Encore faudrait-il qu’ils y aient des entrées.

Situation peu reluisante

Cette situation pas du tout enviable pousse chacun des producteurs à vendre individuellement c’est-à-dire à sa convenance pour pouvoir tirer son épingle du jeu. En d’autres termes : « chacun se débrouille comme il peut pour écouler sa marchandise », fait savoir le secrétaire général de la coopérative qui ajoute : « la coopérative n’existe que de nom. Ne pouvant pas faire appliquer ses règles intérieures de vente, chacun vend comme il peut. Et personne ne peut reprocher quoi que ce soit à son collègue, puisque personne n’achète des intrants ou du carburant pour son prochain. La caisse de la coopérative est vide, bref il y a une désorganisation totale au niveau de notre coopérative ».

            Pour l’heure, les gros producteurs individuels dont les magasins sont encore bourrés d’oignon et de légumes, peinent à conserver les fruits de leurs efforts. Des tas d’oignons en voie de pourrissement sont perceptibles à divers endroits du site maraicher et dans les magasins, provoquant visiblement une douleur indescriptible.« Nos récoltes pourrissent, faute de moyens de les conserver. Certains d’entre nous veulent réduire les superficies sur lesquels ils cultivent, à cause du découragement face aux prix indécents à eux proposés », indique M. Yendubé. « Que pouvons-nous faire devant un acheteur qui tient son argent et qui s’impose ? Si tu refuses, que vas-tu faire après, surtout que ce sont des denrées périssables ? », soulignent-ils tout rappelant que : « Nous ne faisons que sécher nos légumes et, jusqu’à quand ? Surtout que nous n’avons pas les moyens de les conserver » fait-il observer.

Pas de place pour le découragement

Les producteurs d’\"Afima Dima\" entendent poursuivre leurs productions qui restent leurs principales sources de revenus. « Nous allons essayer de nous réorganiser au niveau de la coopérative, pour la redynamiser afin de pouvoir rechercher des marchés un peu partout au Togo, et pourquoi pas ailleurs. Nous devons créer un point de vente à Lomé la capitale, et ce sera une occasion d’avoir en face des acheteurs avec lesquels nous allons débattre directement parce qu’il y a trop d’intermédiaires qui nous approchent à Sadori et qui font que nous ne comprenons rien », explique M. Ponty Yendubé qui conclut : « Il faut que nous nous organisions pour parler d’une seule voix, pour abandonner le \"chacun pour soi\". Sinon, nous travaillerons au profit d’autres vont se sucrer indéfiniment sur notre dos ».

M. Yendubé propose une solution pratique qui évitera à la coopérative certains déboires : « Nous devons trouver dorénavant un modèle de contrat formel avec nos interlocuteurs si nous voulons vivre normalement de nos efforts ». Néanmoins, il relève que « Aujourd’hui, sur le site, chacun des 132 membres s’occupe de sa production sans penser à comment il pourra le vendre plus tard ».  

Créée en 2006, lors de l’exécution du Projet de Développement Rural Intégré dans la région des Savanes (PDRIS), la coopérative \"Afima Dima\" rentre dans le cadre d’un programme de Lutte contre la Pauvreté du Programme de Coopération et est financé par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).

Jacques Sourou DOUTI Journaliste, Consultant en communication pour le développement | Directeur de publication de Nzaranews