Togo : 70% du MIFA SA pour la PIA ? Les acteurs agricoles dans l’incertitude

Le crédit est un instrument essentiel de développement pour les promoteurs agricoles. S’il existe des mécanismes pour faciliter l’accès au crédit par les agriculteurs, il n’en demeure pas moins que leurs organisations accèdent difficilement aux crédits, à cause de la méfiance que portent envers eux les institutions et les établissements financiers dans la plupart des pays en développement. Au-delà de cette méfiance, il est également observé au Togo, que les conditions d’octroi de crédit proposées par les banques commerciales et des institutions de microfinance ne conviennent pas assez aux agriculteurs. Et, au moment où des réflexions sont menées pour lever les goulots d’étranglements afin d’améliorer les relations d’affaires entre les organisations locales de producteurs et les prestataires de services financiers, les agriculteurs sont dans l’incertitude. Le Mécanisme incitatif de financement agricole basé sur le partage des risques (MIFA-SA) dont l’un des objectifs est de faire croitre le volume des prêts au secteur agricole en faisant passer le portefeuille total des prêts bancaires de 0,2% en 2018 à 5% en 2028 serait sur le point d’être contrôlé à 70% par la Plateforme Industrielle d’Adétikopé (PIA) alors que la Fédération nationale des groupements de producteurs de coton (FNGPC) détiendrait 11% des actions et l’Etat togolais 19%.

Novembre 26, 2021 - 10:27
Novembre 28, 2021 - 18:49
 0
Togo : 70% du MIFA SA pour la PIA ? Les acteurs agricoles dans l’incertitude

La surprise est perceptible chez les promoteurs agricoles. « La PIA a réussi son coup en décrochant royalement presque les deux tiers des parts du capital de la MIFA SA ». Ils entrevoient ainsi leur sort scellé quant à la possibilité qui s’offre désormais à eux dans le financement de leurs activités. Pour eux, cette "victoire" de la PIA arrive au mauvais moment, alors que leur inclusion au sein des organisations des producteurs devrait leur offrir de nouvelles opportunités de crédits. « Les ultras nantis vont augmenter leurs surfaces avec divers types de culture de différentes qualités, tandis que nous autres continuerons de rechercher ce qu’il faut vendre, parce que ne disposant pas de stocks de produits de qualité suffisante », soulignent-ils avec cette logique : « dans le domaine d’octroi de crédit, les actions à notre endroit sont insuffisantes et ne nous autorisent pas de bonnes productions ». C’est dire que les producteurs seront quelque peu lésés, en ce sens qu’ils n’auront pas de facilités d’accès aux financements conséquents pour leur permettre d’améliorer et d’élargir leurs productions, et qu’ils seront plutôt enfoncés par les "grands producteurs".

La Plateforme Industrielle d’Adétikopé (PIA), société de droit togolais,  « rafle tout finalement ; on aiguise sa position qui lui était déjà trop favorable », disent les promoteurs agricoles. La PIA était déjà actionnaire majoritaire (45,5%) du Mécanisme Incitatif de Financement Agricole (MIFA-SA) depuis le 16 juillet 2021, après cession par l’Etat d’une partie de sa participation dans le capital social de la Société, selon le communique du conseil des ministres du 07 juillet 2021. La position de l’Etat qui devrait détenir 43,5% du capital social du MIFA SA devrait lui permettre d’être pleinement associé à la gouvernance du MIFA SA précisait le communiqué. Après la signature des contrats de cession et le pacte d'actionnaires, la répartition des actions aurait évolué jusqu’à atteindre à ce jour 70% pour la PIA, 19% pour l’Etat togolais et 11% pour la Fédération nationale des groupements de producteurs de coton (FNGPC). L’Etat togolais avait déjà concédé 51% du capital social de la Nouvelle société cotonnière du coton (NSCT) au géant singapourien "Olam International", en décembre 2020. Par l’acte posé à la mi-juillet, le gouvernement togolais ouvrait ainsi l’actionnariat du MIFA SA, à la société PIA contrôlée à 65% par Arise Special Economic Zone, société de droit mauricien et holding, mère d’ARISE Integrated Industrial Platforms (Arise IIP) et à 35% par l’Etat togolais. Selon son site web officiel Arise IIP a deux actionnaires : Africa Finance Corporation et Olam International Ltd.

La tendance des producteurs et des agrégateurs

Face à la situation qui ne faciliterait pas leurs activités, les divers promoteurs agricoles et leurs homologues agrégateurs, font des propositions. « Il faut que l’Etat fasse aussi la promotion des investisseurs nationaux que nous sommes, en nous réservant des parts raisonnables, même si les multinationales sont plus puissantes que nous », martèlent-ils. S’ils estiment que l’Etat devraient les favoriser dans l’accès aux crédits agricoles auprès des banques commerciales, ils relèvent cependant que « le MIFA-SA travaille avec les mêmes banques, et aura un quotient plus fort que nous en tant que grande institution ; et dans ce cas s’occupera-t-on de nous convenablement ? ». D’où les profondes inquiétudes des producteurs agricoles qui parlent de « miettes » à eux  réservées. Ils supputent que le MIFA-SA « favorise la PIA afin qu’elle s’accapare totalement toutes les filières au Togo ».

Lire aussi - https://nzaranews.com/togo-pia-va-transformer-500-m3-de-soja-par-jour

Nombre d’agriculteurs pensent que s’il est vrai que la PIA enlève la quasi-totalité des parts du capital du MIFA SA (70%), le financement de leurs activités par la société anonyme va s’estomper, vu qu’elle « prend davantage d’actions plutôt pour ses propres besoins d’investissement », et qu’il leur faut plutôt s’organiser autrement pour trouver les meilleures possibilités pour exercer leurs activités.

Il y en a pour qui « l’Etat peut jouer des rôles majeurs » en dehors des établissements de micro-finances et des banques pour des investissements à court et moyen terme. Ils pensent qu’il peut, entre autres, « appuyer le financement de l’agriculture et fournir des incitations en faveur de modèles productifs durables ». Pour ce faire, soulignent-ils, « l’Etat peut aider les agriculteurs, surtout les coopératives ou organisations de producteurs à s’organiser, et à bien gérer leurs exploitations et leur faciliter l’accès aux marchés ».

L’adéquation de l’offre et de la demande de crédit 

Le financement des producteurs agricoles locaux connait des difficultés d’obtention de crédit qui est strictement conditionné (garanties, taux d’intérêt élevés) par les institutions financières de la place. Les emprunteurs posaient déjà le problème d’accès au crédit comme l’une des causes principales du faible développement du secteur agricole, se plaignant de ce qu’il n’y ait pas, ou très peu de ressources pour financer l’investissement agricole à moyen et long terme.

Généralement, l’offre et la demande de services financiers à l’agriculture ne coïncident pas, que ce soit en termes de volume ou de type de service. Pour les institutions financières, « les risques (événements climatiques adverses, maladies des plantes et des animaux, chute saisonnière des prix…) paraissent souvent trop élevés pour répondre durablement aux demandes de prêts ». Les acteurs affirment que « les remboursements aux banques ou aux microfinances n’excèdent généralement pas douze mois ». La marge est donc réduite pour l’agriculteur, même si quelques rares établissements financiers essaient de faire le pas.  

Au regard de ces contraintes, de très nombreuses langues se demandent si le "nouvel accord" de cession qui serait intervenu entre l’Etatet la PIA, favorise véritablement la professionnalisation des petits producteurs, des promoteurs ou des organisations agricoles locaux ? Surtout au moment où des solutions innovantes sont recherchées pour permettre de faire du crédit agricole une activité non seulement rentable pour les institutions financières, mais surtout stimuler le développement des chaînes de valeur agricoles, voire de tout le secteur agricole, .  

Lire aussi - https://nzaranews.com/togo-la-pia-letat-et-la-fngpc-un-accord-qui-suscite-des-craintes-et-espoirs

Le MIFA SA, véritable levier de financement ?

Le gouvernement togolais, afin de renforcer les capacités des acteurs des chaines de valeur agricole a mis en place le MIFA SA dont l’un des objectifs est de faire croitre le volume des prêts au secteur agricole en faisant passer le portefeuille total des prêts bancaires de 0,2% en 2018 à 5% en 2028. De sources proches du MIFA SA, l’on indique  que des pas ont été franchis avec l’opérationnalisation de l’institution  et l’allocation d’environ 27 milliards FCFA (40 millions d’Euro) de crédits au profit des différents acteurs agricoles depuis son lancement en 2018. Des financements qui auraient permis de créer et consolider plus de 274 000 emplois parmi lesquels 240 000 saisonniers, d’accompagner plus de 200 000 producteurs et structurer 1450 coopératives.  

Actuellement, les producteurs agricoles au Togo voient un « danger » qui pointe à l’horizon. Ils étalent de nombreuses contraintes, « à cause de petits moyens » dont ils disposent, et de leurs « faibles niveaux de revenus ». Ils doigtent principalement le « faible niveau de financement » qui constitue la contrainte majeure dans leurs activités.

 « Il y a des dispositions prises par l’Etat à travers le MIFA-SA, mais éparses et qui sont méconnues du secteur bancaire », avait reconnu Kossi Tenou, Directeur national de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO), lors d’une concertation ouverte à Lomé (Togo) sur la levée des contraintes pour un meilleur financement de l’agriculture. Il avait salué les efforts faits par les banques mais qui, disait-il, « demeurent insuffisants par rapport aux besoins énormes du secteur agricole ». Ce qu’il faut, selon lui, « c’est de porter la bonne information aux financiers, les rassurer pour une prise de décision ».

Alors, toutes les inquiétudes des acteurs agricoles seraient-elles levées ?  

En 2019, les crédits accordés au secteur agricole au Togo ont représenté 4,6% du total des prêts mis en place par les banques. Selon le ministère de l’économie et des finances, seulement 0,2% du total des crédits bancaires a été accordé cette même année à ce secteur qui emploie 38% de la population active, et contribue à 23% à la richesse nationale. « C’est vraiment encourageant,  mais cela demeure très insuffisant par rapport aux besoins de financement du secteur agricole », avait noté Badanam Patoki, secrétaire général du ministère de l’économie, soulignant que « le secteur agricole togolais est sous-financé, malgré son importance dans le tissu économique, et les actions initiées par le Gouvernement ».

Rechercher des solutions de sûreté

La principale difficulté réside probablement dans le financement et l’accompagnement des producteurs et investisseurs de toutes tailles dans le secteur de l’agriculture à moyen et long terme. La quasi-totalité des acteurs du secteur agricole proposent : « il faut  nous  accompagner dans le développement de nos filières, en nous octroyant des financements à moyen et long terme, à visée stratégique et pérenne ». Cette vision se fonde sur le potentiel considérable du secteur agricole, compte tenu des prix de vente de la plupart des produits agricoles (soja, coton, maïs…) sur les marchés internationaux. Cependant, pour concrétiser cette façon de voir et mettre les opportunités à profit, les différents acteurs ont besoin de ressources. Cette position est essentielle pour stimuler la productivité, améliorer les revenus et les moyens d'existence et surtout créer des emplois, en particulier pour les jeunes. Cela implique l’injection de capitaux très importants, impliquant une montée en puissance du crédit agricole.  

Jacques Sourou DOUTI Journaliste, Consultant en communication pour le développement | Directeur de publication de Nzaranews